Relation amour haine entre une Asperger et ses lunettes.

Au royaume d'une Asperger - lunettes

J’aime mes lunettes. Mes lunettes sont un morceau de mon corps. La première chose que je fais en me levant, c’est de les enfiler. Elles sont parfaitement équilibrées et pas trop lourdes. Je m’endors parfois sans les retirer. J’ai déniché la monture parfaite. Un côté rayé vert et un côté rayé bleu, j’en suis dingue.

C’est à dix-huit mois que j’ai eu mes premières. Une horreur. Lourdes, inconfortables, laides à l’excès et pourtant, même bébé, je n’ai jamais tenté de les retirer. Immédiatement, ce fut une extension de mon corps. J’étais vraiment un bébé très laid, mais cette structure n’aidait pas ma cause non plus….

À l’école

À l’école on m’appelait quatre-yeux ou « les barniques » parce que mes verres étaient tellement épais. Et comme ils avaient tendance à descendre sur mon nez, je les faisais tenir avec un gros et affreux élastique noir. Le nombre de fois où on m’a dit qu’on allait me les casser mes lunettes, j’étais devenue complètement parano à leur sujet. D’un côté j’avais mes parents que je ne voulais pas contrarier avec une dépense inutile et de l’autre j’avais une peur bleue de blesser mes yeux en recevant les éclats du bris duquel on me menaçait. Ces yeux qui lisaient vingt heures sur vingt-quatre. Trop précieux.

Quand tes lunettes servent à te faire faire du mal.

Je ne peux énumérer le nombre de fois où on me les a retirées pour me voir pleurer sans retenue. À chaque fois incapable de me défendre, persuadée que je méritais la pénitence, j’espérais bien fort rapidement retrouver l’outil visuel en parfait état. Il y a bien eu cette fois, celle où je fus frappée de plein fouet pas un ballon-poire en plein sur le nez durant l’attente dans le rang. Dans ce temps-là, j’avais des lunettes munies de plaquettes (petites pièces en plastique, qui servent de surface d’appui sur le nez). Ce morceau a donc traversé la peau pour pénétrer en dessous afin de s’y coincer subtilement… Essayez de retirer ça de là, vous m’en donnerez des nouvelles. J’ai aussi ce souvenir d’un bon coup de pied qui a complètement tordu la branche, cette fois-là, le professeur surveillant, complètement conscient d’avoir failli à la tâche, a grossièrement tenté de redresser le tout afin que je puisse à nouveau poser les verres à leur emplacement initial. C’était à chaque fois pareil, des fois c’était moi, des fois c’était les lunettes le bouc émissaire, mais les coups pleuvaient. Je sais, je sais, c’est parce que j’étais bizarre et que les gens ont peur de la différence, mais dans ce temps là, je croyais que c’était la faute à cette sculpture trop proéminente dans mon visage (entre autres).

Je n’avais pas vraiment le tour de bien choisir cet accessoire mode non plus il faut bien l’admettre. Très jeune je portais simplement les plus laides, mais par la suite je n’aidais pas toujours mon cas. Une année j’ai opté pour des montures d’homme, une autre des cercles parfaits comme lunettes… j’ai eu un drôle d’air un certain temps.

Adulte

Néanmoins, malgré toutes ces attaques et tempêtes, la première destruction qui m’a vraiment peinée c’est lorsque j’ai posé le pied dessus, à mon réveil, il y a de cela environ six ans. Le choc. Mes belles lunettes en plastique rouge, détruites, et ce par moi. Panique. Comment je vais travailler ? Comment je vais fonctionner ? Mon arrivée en larmes chez l’optométriste l’a probablement amené à tenter de me réconforter avec les solutions les plus rapides possible. Les choix ne pleuvaient pas cette journée-là, car les montures sont la plupart du temps trop grandes pour moi. C’est donc dans la section des ados que j’ai pu trouver quelque chose de convenable, mais pas tout à fait à mon goût.

Pour me permettre de fonctionner en attendant les quarante-huit heures nécessaires à la préparation, ils me proposèrent donc des verres de contact…pas le choix. Mais pour les hypersensibles, les verres de contact, ce n’est jamais aussi facile qu’on peut l’imaginer. Et lorsqu’en plus on s’appelle madame je panique et je fais tout de travers c’est pire. Je courus vers un autre emplacement avec ma prescription en main afin d’en acheter à moindre coût. (Notez ici l’erreur de jugement.) Le trajet sur la route, pas évident sans mes verres… est un défi permanent. Pourtant, avec un de mes yeux je vois, mais j’ai ce désir d’une vision bien impeccable et parfaite, sans aucune friture sur la ligne. La moindre imperfection ou irrégularité m’obsède complètement. C’est d’ailleurs une des raisons pourquoi il m’est si difficile de conduire sous la neige ou la pluie. Chaque goutte, chaque flocon est une interruption dérangeante et envahissante dans mon champ de vision. Je désire la netteté de l’écran haute définition, le contraste du noir sur le blanc, de la perle de couleur sur l’océan de neige… ce n’est pas si compliqué ?

Me voilà donc, avec une vision moyenne, normale, acceptable pour la régie de l’assurance automobile, mais définitivement pas assez performante pour moi, à tenter de me rendre à destination pour l’achat des rondelles plastifiées devant remplacer momentanément mes lunettes. Je trépigne d’inconfort, je grogne, je stresse, mais que puis-je y faire ? Je parviens donc à destination dans un état émotionnel surchargé, inconfortable, et pas tant réceptif que ça. J’aurais sans doute du prendre le temps de me calmer avant d’affronter ce lieu, mais bien déterminée à retrouver des yeux bioniques le plus rapidement possible je n’y ai pas pensé.

Quand t’as peur de tout…

J’entre donc survoltée, impatience, anxieuse et désireuse de repartir avec une solution adéquate. Quelle idée stupide, malgré les bas prix (vous savez ce lieu dans lequel on peut tout acheter en gros), de me diriger dans une grande surface seule, sans gentil conjoint. Les bruits sourds, les employés stressés, les consommateurs avares de temps qui font avancer leurs paniers tel des armes de guerre, c’était la pire place à visiter. La jeune fille au comptoir d’optométrie me propose immédiatement des verres de contact que je dois enfiler sur place. J’ai peur. À la base, j’ai déjà peur de tout, alors mettre un doigt dans mon œil, ça m’effraie royalement, et pas qu’un peu. Je me ridiculise, j’hésite, je panique, mais il faut ce qu’il faut. La jeune fille m’explique son truc, mais la tête me bourdonne. Elle parle, mais ses mots sont préfiltrés, bourdonnants, et parviennent jusqu’à moi dans une gibelotte d’incompréhension.

Écouter sous grand stress, ça ne fonctionne pas particulièrement bien. Par contre, ce n’est pas comme si j’avais le choix donc je tente de faire taire la petite voix intérieure et je me lance. Boum. Bravo, sérieusement, j’ai posé le bidule à l’envers et c’est extrêmement douloureux. Comment ai-je réussi un tel exploit, ne me le demandez pas. Toujours est-il que je pleure, mon œil enfle à la vitesse de la lumière et je suis complètement affolée. Ça brûle comme du feu et comble de l’ironie, la vendeuse est une vraie fille, vous savez de celles pour qui la féminité passe par divers ornements plastifiés et encombrants au bout des doigts ? Oui. La voilà donc (car moi je suis devenue non-fonctionnelle) à tenter de retirer le verre de contact avec les moyens du bord. «Mais madame ? Comment vous avez amanché votre compte pour le poser à l’envers ? » Ce à quoi je ne trouve rien d’intelligent à répondre. Je m’enfuis penaude, l’œil volumineux et l’orgueil légèrement meurtri. On ne m’y reprendra plus, je retourne à la vraie boutique spécialisée pour obtenir un service plus adapté à ma déroute émotionnelle.

La dame plus professionnelle du nouvel emplacement prend tout le temps possible pour me rassurer et me calmer avec la douceur d’une grand-mère. Avec patience et doigté, elle m’apprend à déposer l’objet correctement sur ma cornée. C’est mou, très difficile à manipuler, mais je finis par y arriver. Je prends mon courage à deux mains pour le deuxième œil. Le plastique est beaucoup plus rigide, car la prescription est totalement différente. C’est génial ! C’est plus facile. Je retourne chez moi prête à narguer mon conjoint qui était persuadé que jamais je n’arriverais à porter des verres de contact. Hé, hé, ça lui apprendra à douter de moi. Il m’a tellement taquiné (il faut dire qu’il me connait beaucoup trop bien), je vais pouvoir lui retourner la pareille. Ce que je ne savais pas encore, c’est que ce fameux verre rigide est très difficile à retirer, pour moi du moins. L’histoire s’est terminée avec une docteure qui fut obligée de me l’enlever. Pas fort mon affaire. Je n’ai pas pu prouver bien longtemps mon courage et mon amoureux n’en a que plus ri, pas sur le coup, mais par la suite.

Je partis donc à la quête de l’opération pour les yeux afin de pouvoir pratiquer des sports sans mes lunettes (pluie, bouette et buée étant dérangeants), malheureusement je fus refusée. Il parait que ma tête est trop petite et les yeux ne sont pas de la vraie grandeur. Ben voyons donc… Voilà pourquoi j’ai tant de difficulté à trouver de jolies casquettes à ma taille pour l’été.

Maintenant

L’an passé j’ai déniché exactement ce qu’il me fallait, enfin ! J’ai donc maintenant une monture avec laquelle je me sens moi. J’en suis folle de ces lunettes-là. Lignées, un côté vert, un côté bleu, elles sont parfaites. Je me suis réconcilié avec mes montures et elles servent maintenant à exprimer comment je me sens. Organisée, mais différente. Absolument fan du séquentiel, mais artiste sur les bords. Un côté coincé et un côté givré… C’est tout moi.

BONJOUR!

Je suis Valérie Jessica Laporte. Bienvenue dans mon univers autistique.

Femme blanche autiste souriante avec lunettes bleues et tresses bleues

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