Entrez à vos risques et périls. À la base, c’est déjà un défi, mais des fois c’est pire.

Rejet, asperger, manque d,écoute

Le matin, je suis solide, en tout cas, c’est ce que je crois. Bien ancrée avec la sensation de pouvoir tout affronter, j’ai les chaussures qui s’agrippent correctement au sol et c’est le meilleur moment pour faire face aux situations intenses au niveau social. Je suis absolument éveillée et décidée. Voilà pourquoi, si mes trois enfants ont un examen de la vue, je choisirai le premier rendez-vous de la journée. Plus il est tôt, moins il y a de chance pour que je fasse des niaiseries ou des bizarreries. Courage.

L’arrivée

Il y a une loi non écrite qui fait que s’il faut tirer la porte vers soi pour entrer je ferai nécessairement le contraire et ainsi de suite. Est-ce un super esprit de contradiction, j’ose espérer que non, mais mon infiltration en tout lieu autre que ma maison est teintée d’hésitation et de maladresse. Cette petite danse avec les portes est peut-être une manière inconsciente de retarder mon intrusion par n’importe quel moyen subtil. Cette tactique de mon esprit n’est pas d’une efficacité monumentale puisque veut, veut pas il faut bien que j’y aille. Je ne fais que retarder l’inévitable. En entrant, je n’ai même pas besoin d’ouvrir la bouche pour que la dame me nomme ce qui m’évite d’attendre au comptoir tel un poisson échoué qui cherche son air. Clairement et immédiatement elle me propose de m’assoir dans le petit local d’attente. Ça me rassure, c’est toujours pareil, même protocole, mêmes mouvements, même siège. Oh… Qu’est-ce que la régularité et la prévisibilité sont rassurantes ! J’avance presque avec confiance.

Des chaises neuves ! Pourquoi ? Je ne peux me retenir de m’exclamer : « Oh non ! Mon sofa ! » Habituellement, je m’enfonce dans cette énorme mollesse si rassurante et je peux inclure mes enfants dans ce confort enveloppant. Et tout à coup, vision de froideur, des chaises bien séparées, seules, uniques qui ne me permettront pas de coller mes amours. Je suis mal à l’aise et j’hésite donc un bon moment debout comme si on m’avait retiré la boussole intérieure. Décider d’une place qui sera mienne n’est jamais aisé. J’ai besoin de temps. Lorsqu’on appelle mon fils pour son examen, je suis si concentrée dans l’analyse des répercussions du choix que j’oublie de le suivre. Je finis par me décider à prendre place et je tente de m’acclimater à ce récent changement. Soudain, je réalise que je n’ai pas suivi l’optométriste. Je me réveille du conflit qui m’habitait, mais il est trop tard, la porte est refermée et c’est commencé sans moi. J’y vais, je n’y vais pas, j’y vais, je n’y vais pas ? Je me lance.

Les examens

Je suis fascinée par l’énorme monture rouge en plastique transparent de l’optométriste. Il parle beaucoup et à tendance à me répéter les moindres renseignements un nombre incalculable de fois. Pourtant je comprends tout, tout de suite, mais mon manque de répartie doit lui faire croire que non. Je ne parle pas, j’ai le nez fixé sur ma lecture de l’actualité jusqu’à ce que je vois ses chaussures, oh, pour une personne qui ne lui tient jamais réellement de conversation, j’espère ne pas avoir eu l’air trop intense dans mes commentaires relatifs à ces magnifiques souliers de course colorés ! Ils étaient siiiii jolis que je ne me suis pas gênée pour lui faire part de mon admiration à ce sujet. Ce à quoi il n’a pas vraiment répondu d’ailleurs. Ma fille, lorsque c’est son tour, nous fait une mini panique lorsqu’il la force à voir en double. Que c’est rigolo comme elle me fait penser à moi dans ces moments. À chaque petit changement, elle bondit sur sa chaise. Bong ! Bong ! Petit ressort adoré.

C’est d’une importance vitale pour moi de laisser mes enfants se développer indépendamment de moi, de mes goûts, de mes envies et de mes traits. Je veux qu’ils deviennent entiers, authentiques et libres. Donc durant l’examen du plus jeune j’invite ma fille à aller seule dès maintenant consulter le choix de montures qui s’offre à elle. C’est pour qu’elle découvre sa personnalité sans mon influence. À mon arrivée elle sait déjà qu’elle veut un style plutôt rectangulaire sans plaquettes (ça lui fait mal sinon) et avec de la couleur. C’est clair pour elle. Ne trouvant rien, l’opticienne nous recommande à une autre dame pour avoir accès aux montures qui ne sont pas sur les présentoirs.

Frustration, invasion et autres impolitesses paniquantes

Tout son non verbal n’annonce que l’impatience. Mouvement de recul, retenue de sa respiration une demi-seconde et narines qui s’élargissent, cette personne ne désire pas nous aider. Soulèvement de sa lèvre supérieure avec un air de dédain, elle nous accompagne pour nous faire essayer à nouveau les montures que ma fille n’aime pas. La petite dit : « Elles ne sont pas belles celles-là. » Et c’est parti, ma fille reçoit un sceau de reproches de la dame à l’effet qu’on n’a pas le droit de dire que les choses ne sont pas belles, que tout est une question de goût et que les lunettes sont parfaites.

Étant pleinement consciente d’avoir de grosses lacunes à ce niveau, l’Asperger me rendant trop franche et directe à outrance je ne dis pas un mot. J’ai peut-être tort. Je suis en plein conflit interne à savoir décider en ce cas précis ce qui est bien et ce qui est mal. Ma fille traite l’information plus rapidement puisqu’ avec calme et maitrise elle reformule avec politesse. »Je préfère les montures rectangulaires aux montures rondes, je trouve ça plus beau. » La couleur du visage de la dame change et elle se laisse emporter par un : « Jeune fille, tu ne trouveras pas grand-chose si tu t’entêtes à vouloir des montures pas rondes. C’est ça la mode, t’as pas ben le choix. C’est ça qui est beau. » Ce qui est en complète contradiction avec son énoncé précédent finalement. J’essaye de parler, mais je suis bloquée. Je n’arrive qu’à faire des non répétitifs de la tête sans pouvoir m’arrêter et je recule et je recule jusqu’à me retrouver dos au mur.

J’admire mon enfant qui malgré qu’elle est contrariée ne se laisse nullement impressionner par l’immense personnage. Je n’aurais pas du me retirer de la sorte puisque la femme en profite pour enfoncer alors des lunettes avec brusquerie sur la tête de ma petite qui proteste de douleur et elle lui impose sa présence physique sans retenue. Les plaquettes et certains types de branches lui font mal. Cette fois la dame explose pour vrai sur le fait qu’elle ne peut en aucun cas savoir si une monture est confortable avant l’ajustement et elle ordonne à mon enfant d’arrêter de se plaindre à ce sujet. Elle est très près physiquement et monte le ton pour obtenir une soumission du petit être face à elle. Elle l’envahit, et je vois ma fille commencer à trembler. C’est comme un coup de poing en plein ventre que je reçois. Je n’ai pas le droit de me laisser alors guider par mes peurs, je suis dans Indiana Jones et les murs se resserrent.

On ne touche pas à ma fille. J’ai l’impression d’avancer dans des sables mouvants au ralenti et j’arrive dans un geste lent à déposer ma main sur l’épaule de mon enfant en signe de soutien et je me décide dès lors à protester. Je prépare ma phrase, elle est simple nette et directe et permettra de réclamer le respect. Je la répète à quelques reprises dans ma tête et je tente de la dire. Impossible, elle me coupe à chaque fois et je n’ai pas la force de caractère pour m’imposer. Sauf que là ce n’est pas contre moi, je n’ai pas le choix, j’ai quelqu’un à protéger. J’exige de la dame qu’elle me laisse parler ce à quoi elle se refuse à nouveau. Ce n’était pas prévu, je n’arrive même pas à me souvenir qu’une telle situation me soit déjà arrivée à l’âge adulte. J’enlace ma fille pour la guider vers une échappée et je tente de me sauver en laissant l’agressive personne s’époumoner.

Parvenue à la salle d’attente mes fils voient immédiatement que je suis en mode détresse activé. Mon grand tente de me réconforter, mais ça fait pire que bien, les larmes se pointent. Je suis non fonctionnelle, je n’ai pas réussi à m’imposer pour défendre ma famille, je n’ai su que m’enfuir. J’ai honte, je suis déçue de moi. Mon plus petit est tout bouleversé et n’arrive pas à s’habiller. Il tente d’enfiler son manteau avec dans les mains sa tablette, ses mitaines, son cache-cou, sa tuque et un jouet ce qui fait en sorte que nous restons un bon moment sans bouger pour l’attendre. Tellement concentrée à retenir la vague émotive qui me renverse, je ne réalise qu’après un bon moment qu’il a besoin de mon aide. Et lorsque je lui enlève enfin tout le chargement des mains, une dame s’esclaffe. Je n’ose pas regarder. Je m’évade en vitesse et je passe une grosse demi-heure à pleurer à grands hoquets.

J’apprends plus tard que ce n’est pas une employée, normalement elle ne s’occupe pas des clients. Cette personne possède la grande boutique. Le lieu est maintenant contaminé. Le seul emplacement offrant ma marque favorite de montures est maintenant teinté de douleur à mes yeux. Je suis trop triste. Tout le monde sait comment j’apprécie mes verres, j’ai même écrit un article à ce sujet. Lorsque j’en aurai besoin, il me faudra la même marque, et là je ne pourrai pas y aller. Jamais je n’aurai la force. La seule autre boutique offrant ces merveilleuses créations peintes à la main est à deux heures de route. Mon seul espoir c’est qu’elle prenne sa retraite.

Ma différence, ma neurodiversité, je suis souvent contente de l’avoir parce que ça me rend unique. Sauf que là, j’ai beau me prendre parfois pour une super héros avec de super pouvoirs, mon malus avec les relations interpersonnelles il vient de se manifester pas à peu près. Je n’ai aucune idée de comment je vais m’en sortir de cet inconfort géant. J’ai tenté d’écrire à la boutique, mais ils n’ont pas répondu. Je ne vois plus mes lunettes du même œil, j’ai maintenant une peur maladive de les briser. C’est idiot. Je tente habituellement de conclure mes écrits avec une belle phrase positive, mais cette fois je suis bloquée. Ça va arriver de temps en temps que je frappe mon mur, j’imagine que c’est normal. Je progresse, je grandis et je m’affirme un peu plus, mais il me semble que si je n’avais pas tenté de prendre ma place ça aurait moins mal viré. Même avec le recul, la solution ne m’apparait pas cette fois. On ne peut pas gagner à tous les coups.

BONJOUR!

Je suis Valérie Jessica Laporte. Bienvenue dans mon univers autistique.

Femme blanche autiste souriante avec lunettes bleues et tresses bleues

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