En dehors ou en dedans, mais pas les deux en même temps.

Commment ça se passe pour une aspie ?

Une frontière avec un douanier pas vite vite sépare mon dedans de mon dehors. La traversée, à tout coup, ne se fait pas sans heurts. Je dois choisir, je m’occupe soit de l’info en dedans, ou de celle de dehors, mais je ne peux pas me couper en deux, avec un pied dans chaque pays. Il y a une seule voie pour le traitement, et ça n’empêche pas les renseignements de vouloir tous passer en même temps, sans égard pour l’handicapant embouteillage qui s’en suivra.

J’ai froid ? Plus de sons plus d’images.

Chauffage aux granules

Combien de fois mon conjoint entre à la maison en me trouvant recroquevillée dans une immense couverture en grelottant. Il me regarde alors avec ce petit air amusé et demande : Ça va ? Et moi de répondre : Non !!! On gèle, j’ai froid partout, je n’arrive pas à me réchauffer. Il s’informe à savoir si j’ai bien mis des granules dans le poêle, et bien entendu, je ne l’ai pas fait. Pourquoi ? Pas parce que je ne suis pas débrouillarde, c’est simplement que si l’information de la température est trop intense, je n’ai plus accès à rien. C’est la panique. La solution est à portée de main, mais elle est invisible, je suis de l’autre côté. Sans exception, à chaque fois, je me trouve vraiment épouvantablement nouille. Je répète que la prochaine fois que je serai transi j’y penserai, je me le répète mentalement, je le dis tout haut, mais c’est une cause perdue. Si le foyer cesse d’être alimenté et que la température descend trop, je franchis cette ligne de non-retour. Je n’ai plus d’accès à ma logique. Lorsqu’il doit dormir à l’extérieur, il mandate les enfants d’y penser, il leur donne cette responsabilité. J’ai honte parfois. Je suis une super maman, qui offre du temps de qualité à ses enfants, mais pour ces simples choses de la vie, mon profil de maman Asperger me fait parfois me sentir inadéquate.

Note. Des températures de -40°C  (-40°F) ne sont pas tout exceptionnelles au Saguenay. Il est fortement recommandé de chauffer la maison. Rire.

J’ai chaud ? Mon cerveau se transforme en gibelotte.

Je pense que le soleil a un rayon laser juste pour moi, très précis, il pointe avec exactitude un cercle spécifique sur mon crâne, et ce, avec beaucoup d’acharnement. Il me désarticule, me rend molle, me fais perdre mes mots, m’étourdit et me mélange les méninges. Hier, nous avions un rendez-vous pour permettre aux enfants de faire un tour de planeur. J’attrape ma casquette, de l’eau, mon appareil photo, bien entendu ! Et hop. Ce que je n’avais pas prévu c’est un changement à l’horaire qui a fait en sorte que durant plusieurs heures, j’étais dans un champ à la chaleur. Au début je gérais, je fonctionnais… mais peu à peu, l’information du corps en souffrance s’est mise à prendre bien plus de place qu’il ne le devrait.

Lorsqu’il y a eu un branle-bas -de combat, et que nous avons tous dû mettre d’énormes coupe-sons sur nos têtes parce qu’un décollage de F-18 se produisait à l’instant, je n’ai rien vu venir, trop absorbée à gérer mon corps. Un responsable a couru à toute vitesse vers moi pour me placer la protection sur les oreilles avant le passage de l’engin tout juste au-dessus de nos têtes.

J’étais toute mêlée, hébétée. Pourtant, un instant, cette pression intense à gauche et à droite de mon crâne m’a fait du bien. J’aurais bien gardé pour moi cet outil, mais ils les ont vite repris pour les ranger. Dommage…

Photo d'un planeur jaune

Doucement, j’ai commencé à faire de mauvais choix de mots, des erreurs de vocabulaire, de syntaxe, des phrases étranges et non complétées. Je pouvais commencer une explication pour être incapable de la clore. Moi, si amoureuse des mots, je les utilisais n’importe comment et mon plus vieux s’est mis à me corriger, à me reprocher les incongruités qui sortaient de ma bouche. On le constate d’ailleurs à mes photos. Mes premières, celle de mon plus jeune, qui est passé en premier, sont superbes, mais celles que j’ai tenté de prendre de mon plus grand sont toutes embrouillées. J’essayais pourtant, parce qu’il voulait des souvenirs, mais l’info, j’ai chaud, j’ai chaud, j’ai chaud me coupais l’accès à mes automatismes. Devant mon évident malaise, on m’a proposé d’entrer dans un véhicule à l’air conditionné, mais j’ai refusé, trop mal à l’idée de faire du bruit, de déranger tout le monde, de polluer pour rien, bref, d’être la nuisance de la journée… Alors j’ai enduré.

Mauvaise idée. Le truc, c’est qu’ensuite les sensations s’imbibent en moi, et ça ne veut plus s’enlever. C’est collé là. Mon amie magique dit que c’est imprégné. Au retour j’ai essayé de me recentrer en prenant une douche. Inefficace. Popsicle ? Inefficace. Rien n’y faisait. Je ne supportais plus rien. Les moindres parcelles de mon corps me brûlaient, me piquaient et m’attaquaient. Je ne voulais plus rien savoir de rien, parce que je n’avais plus du tout accès à mon intérieur. Mon cerveau était un gros truc mou et silencieux. Autant que lorsque je vais bien, c’est une tempête d’informations qui se bousculent dans ma tête, autant que là, j’avais l’impression d’être dans une énorme brume opaque.

Mon amie me proposa donc d’aller me refroidir à la piscine du camping, puisque souvent, lorsque je ne suis plus du tout disponible, ça fonctionne. La sensation égale de l’eau sur le corps, l’apesanteur, la douceur des milliers de petits courants qui se créent tout autour de mes membres c’est magique. Pourtant non, pas cette fois. Mes orteils me démangent, mes jambes sont douloureuses, l’eau ne m’adoucit pas, elle est aussi du côté des méchants. Mon amie le constate, je n’en retire aucun bienfait, elle tente donc de me distraire, mais je fais une piètre interlocutrice.

Habituellement je comprends les expressions et les analogies, même que j’en utilise, vous les lisez, je les ai apprises. Une fois intégrées, si je ne suis pas fatiguée, je ne les prends pas toutes au pied de la lettre. En voulant m’expliquer qu’une personne provoque son conjoint, elle me dit qu’elle le cherche. Non seulement, je ne saisis pas pourquoi la personne est recherchée, mais à la nomination du prénom de son conjoint, je lui demande :  C’est qui lui ?  Il faut comprendre qu’il est pratiquement impossible que j’oublie ce nom-là ! je marche avec lui tous les matins au camping, il est super gentil, on s’entend à merveille, mais là je ne sais plus rien. Plus tard, j’oublierai même le nom de ma fille. Je veux lui demander un truc, mais je bloque. Comment elle s’appelle déjà ? Blackout.

Le corps est totalement en surcharge

Là je suis vraiment exaspérée, je n’arrive pas du tout à me ramener à un état normal, j’ai tenté la douche, la piscine, la solitude, la musique, j’ai changé de sous-vêtements pour avoir une sensation différente, un élastique à un nouvel emplacement, rien n’y fait. Ce sera finalement, en me frottant partout très fort avec un linge rugueux et mouillé que j’arriverai à reprendre le contrôle de moi et à retrouver le chemin vers mon esprit. Je tords l’outil pour en faire une spirale rigide et je frotte partout en tirant sur les deux extrémités comme s’il s’agissait d’une double scie et que le but était de passer à travers ma jambe. C’est immédiat, plusieurs petites fenêtres s’ouvrent. Je l’ai, je le tiens ! J’ai trouvé le moyen de me ramener.

Enfant, souvent je prenais une règle, et me râpais le dessus de la main, par exemple, jusqu’au sang. Ça me calmait. Disons que c’est plus sain de frotter avec un outil plus doux maintenant. Se mutiler, ce n’est pas gagnant. J’ai un meilleur contact avec mon système proprioceptif que lorsque j’étais petite. Mon profil sensoriel, je l’apprivoise mieux. Il m’attaque encore, mais au moins je cherche à communiquer avec lui, j’explore, j’essaie, je teste. À la longue je vais avoir plus de solutions à portée de main pour me ramener. Il le faut, c’est tellement compliqué de me retrouver comme ceci, emprisonnée sans accès à ma tête.

Si je vis un inconfort physique important, si les enfants se disputent en voiture, qu’il y a un gros bruit inattendu ou qu’un autre conducteur se montre agressif, parfois, j’oublie ma destination ainsi que le lieu où je me trouve. C’est plus qu’embêtant. Je dois alors m’arrêter au bord de la route si c’est un endroit approprié, sinon, si je suis sur l’autoroute, je dois emprunter la prochaine sortie, rouler jusqu’à un lieu sécuritaire et tenter de me recentrer jusqu’à la reconnexion cerveau-moi. Je déteste ça ! Intensément. Ça m’amène beaucoup de frustration.

Le tri des informations se fait différemment chez les personnes avec autisme. Mon amie me dit que souvent je dis : Trop d’information, trop d’information. Je ne le réalise pas à chaque fois, c’est automatique, si je suis en train de gérer des infos internes et qu’elle me sollicite pour un truc externe… ça sort tout seul. Je ne peux pas à la fois être le input et le output. Ils sont indépendants.

Le contraire. Si j’accède au cerveau, mais que c’est le corps qui ne veut pas.

Souvent le corps est bien tranquille et c’est tout clair dans ma tête. Totalement limpide. Lorsque je travaille, sur mon poste, seule à la maison, comme graphiste, mon état proprioceptif frôle la perfection. Aucun son indésirable, température idéale, chaise adaptée à ma taille, vêtements doux, tout est en place. La route est totalement dégagée et l’info circule à la vitesse grand V. Pas de bouchons.

Ce qui est embêtant, c’est lorsque tout est aussi net dans ma pensée, mais que je suis trop en dedans, je n’arrive alors plus à partager. Trop dans ma tête, l’info se bouscule, cherche sa voie, mais ne parvient pas à traverser jusqu’aux cordes vocales. Je pourrais écrire ou dessiner, ça irait. Ou souvent, j’utilise alors un signe au lieu d’un mot. Je mime ma demande, si c’est simple. Dans les groupes, en public, dans des lieux qui ne sont pas les miens, si un son me dérange, si une odeur est trop présente, je peux être totalement réveillée, mais sans possibilité de transmettre. Je suis alors coincée en dedans. C’est aussi handicapant que lorsque je suis coincée en dehors, comme avec les températures, mais c’est différent. C’est le contraire. Je n’arrive pas à correctement donner les instructions au corps.

Parle le corps, parle, je t’ai dit de parler !!! Pourquoi tu joues les idiots ? Tu m’énerves !

Ça crée des situations dans lesquelles on a accès qu’à une parcelle de moi, et pendant ce temps je me débats pour tenter de brancher le dehors et le dedans. Je vais devoir me faire à l’idée et attaquer les problèmes un à la fois. Comme là tout de suite, je vais essayer de m’acheter une brosse proprioceptive. À la prochaine surcharge, lorsque même mes supers pinces ne m’aideront pas, quand tout le corps criera Panique !, je vais essayer mon petit outil. Promis, je vous en donnerai des nouvelles.

Lorsque la dispute commence entre l’intérieur et l’extérieur à savoir lequel aura la priorité, la seule manière de vous calmer c’est de vous couper le plus possible de ce que vous recevez. Ça peut être des bouchons ou autres techniques d’évitement des informations, mais en gros il faut couper le message. Dans la vraie vie, ça veut souvent dire être absente, le regard dans le vide, être plus là parce que des pauses on en a besoin tellement souvent. C’est être au club photo, en cercle dans une discussion, s’apercevoir que tout le monde se tourne la tête vers vous en quête d’une réponse, réaliser qu’on était en train de parler de vous, et ce devant vous, et que vous ne le saviez pas. Admettre humblement que vous étiez là de corps, mais pas d’esprit, demander de répéter pour que vous sachiez quel est le sujet…(le choix de votre trépied).

C’est de décaler. C’est d’être perdue et bizarre même si la fois d’avant, avec la même personne ça coulait tout seul. C’est décevoir parfois… à cause de ça. C’est de manquer de patience par rapport aux inconforts, c’est d’avoir l’air intolérante. C’est répéter 100 fois j’ai chaud parce que c’est la seule chose nette qui s’affiche et clignote dans la tête. C’est de s’isoler pour tenter de reprendre la gestion des infos, c’est de réussir parfois, mais vraiment pas tout le temps. C’est d’apprendre à être humble et à accepter qu’on ne va pas toujours remplir nos objectifs, c’est de se sentir pas amusante au moindre désagrément… C’est de travailler fort et de recommencer à essayer cent fois plutôt qu’une. C’est de tenter de s’accepter. Ça peut juste être utile.

BONJOUR!

Je suis Valérie Jessica Laporte. Bienvenue dans mon univers autistique.

Femme blanche autiste souriante avec lunettes bleues et tresses bleues

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