Périple et traversée du premier de l’an. Objectif 2016.

Nouvel an pour une aspie

Le jour de l’an ne donne pas sa place au niveau de l’intensité. C’est l’événement familial qui n’en est plus vraiment un puisque la maison de mes beaux-parents se remplit d’inconnus. Cette année nous étions facilement trente-cinq sinon plus. Nous arrivons tôt et c’est donc presque vide, ce qui me donne habituellement le temps de m’installer (le plus loin possible au fond si possible). Les gens que je ne connais pas arriveront plus tard.

Entrée simple = entrée complexe.

J’aime coller mes enfants. Avec mon conjoint ils sont les seuls, que presque en tout temps je puisse serrer dans mes bras et ça me fait du bien. Par contre dans une petite entrée, lorsque nous nous engageons tous à la fois, même si c’est eux qui sont trop près, je me sens envahie. Voilà pourquoi j’attends toujours que ce minuscule ouragan d’énergie se répartisse ailleurs dans la maison avant d’enlever mes grosses bottes d’astronaute. De me pencher pour les retirer alors que ça pousse et ça bouscule m’angoisse malgré le fait que ce sont mes petits monstres à moi et que je les adore. C’est comme ça. En même temps, j’ai toujours un peu ce besoin qu’on me dise d’avancer, qu’on me dise de prendre place, qu’on me guide un peu. Non pas que je ne sache pas exactement ce qu’il convient de faire, c’est plutôt comme si je n’avais pas totalement la permission de procéder. Il y a ce protocole compliqué et la sensation perpétuelle de ne jamais avoir vraiment la légitimité d’être présente. Ce n’est nullement la faute des autres, c’est vraiment dans ma tête que ça se passe. Donc, on me signifie d’entrer et je termine assise sur ma chaise habituelle, la plus près de la porte.

Tout à coup mon neveu se présente avec un gros sac et me dit qu’on ne m’a pas donné mon cadeau, comment ça mon cadeau ? Il n’y a pas de tradition de cadeaux au jour de l’an et encore moins aux adultes ? Ma belle sœur m’explique en riant qu’en voyant ceci elle a tout de suite pensé à moi et n’a pas eu le choix d’effectuer l’achat. Ce sont d’énormes pantoufles joyeuses d’un bleu et d’un blanc très vifs. Une sorte d’imitation de chaussures pour enfant, mais gigantesques et confortables. Je suis touchée, ravie et j’en profite pour doucement débuter ma tournée des souhaits de bonne année. Ils me connaissent, je n’ai pas droit à l’attaque massive consistant à faire rapidement la tournée de tout le monde d’un seul trait. C’est donc avec des pauses entre chaque vœu que je m’applique à respecter la tradition. Ce qui fait qu’à la toute fin mon beau-père est le seul que je n’ai pas encore pris la peine d’aller voir, ce qu’il me reproche en me taquinant. Je lui réponds que c’est parce qu’il ne me l’a pas encore demandé. C’est vrai, les autres personnes m’ont à tour de rôle signifié qu’ils désiraient procéder à l’échange de vœux. J’ai besoin qu’on me le propose. Lorsque je vois mon conjoint tel un poisson dans l’eau se précipiter sur chaque personne avec enthousiasme, les brasser, les coller, rire et passer immédiatement au suivant à une vitesse phénoménale ça me fascine. Je n’arrive pas à conceptualiser comment une telle aisance peut être possible. Ce n’est pas naturel pour moi, ça fait des trous dans ma bulle et tout le monde le sait.

Le beau-père.

On a parlé à mes beaux-parents récemment du diagnostic d’Asperger. Mon beau-père trouvait que ça ne changeait rien. Il n’a pas compris l’importance que ça avait pour moi de définir pourquoi je fonctionne si étrangement. C’est gentil de sa part, parce que sa réponse en fait se voulait rassurante, que ça ne modifie pas qui je suis, que pour lui ça ne fait aucune différence et tout. Pourtant j’aurais aimé mieux transmettre ma pensée à ce sujet, le fait que pour moi oui, c’était important, mais c’est si peu de choses, il m’aime, c’est ça le principal. D’ailleurs, au souper de Noël la semaine dernière, il s’est amusé à me faire bondir au plafond. Il a décidé de juste m’effleurer l’avant-bras pour voir ce que j’allais faire. Mon conjoint essaye ça de temps à autre et il se trouve vraiment très drôle parce qu’à chaque fois je réagis assez prestement et intensément. Je ne supporte pas l’effleurement, ça me démange, ça me pique, ça me chatouille et je continue à percevoir la sensation longtemps après que ce soit terminé. Je dois me gratter le bras très fort, le frotter et taper dessus pour retirer l’information qui continue à grésiller sur ma peau. Je n’aime que la pression profonde au niveau du touché, tout flatté me rend très mal, j’en ai des frissons rien que d’y penser. Donc, voilà, même s’il dit que ça ne change rien l’Asperger, il s’amuse quand même à en utiliser les particularités pour me forcer à avoir des réflexes contre lesquels je ne peux rien. Tel père tel fils.

Il y a autre chose comme ça que fait tout le temps mon beau-père, il m’oblige à sortir de ma bulle de protection.

Il a passé des années à être convaincu que j’avais un déficit d’attention parce que je regarde souvent dans le vide sans bouger, et en apparence, ça ressemble à quelqu’un qui est dans la lune. En fait, ce n’est pas du tout ça. Quand je suis en surcharge, que trop de stimuli m’attaquent ou que je tente de gérer un débordement d’émotions, je sors en quelque sorte de mon corps. Je tente de prendre une pause pour me calmer. Il n’aime pas quand j’utilise cette technique alors il dit mon nom jusqu’à ce que je revienne sur terre. Dernièrement il a appris à ses dépens que ce n’est pas toujours une bonne idée. Je parlais avec ma belle-mère et elle m’a mentionné qu’une information que je voulais transmettre à quelqu’un ne se faisait pas. Que personnellement elle n’oserait jamais dire une telle chose, que c’était très impoli. Pour moi en fait tout partait d’une belle intention d’aide alors ça m’a fait de la peine. Dans ce temps-là, j’utilise la bulle pour me calmer. Sauf que mon beau-père n’a pas cessé de tenter de m’en faire sortir. J’essayais de ne pas le montrer, mais lui, il le sait tout de suite quand je fais ça. À force, il m’a empêché de m’y sauver et donc j’ai éclaté en sanglots, il n’y avait plus rien à faire avec moi, je pleurais sans m’arrêter. Tout ça pour dire que lorsque je fuis de la sorte, ça sert à quelque chose.

Le regard de ma fille.

Me voilà donc au souper du jour de l’an et ça commence à se remplir, j’avance alors jusqu’au fond de la maison vers une zone plus calme, mais j’ai fait un mauvais choix de pantalon. Et c’est assise que je réalise qu’il me brûle. Je ne m’endure pas. À cause du vêtement, je me sens emprisonnée, coincée et je suis toute raide. Ma fille me le mentionne d’ailleurs : « Maman, tu regardes dans le vide depuis tantôt puis t’es droite comme un piquet. » Je tente donc de faire un effort, mais c’est peine perdue, j’ai chaud, je ne me sens pas bien et je n’arrive pas à converser avec qui que ce soit. Je me lève avec l’intention de faire un tour à la salle de bain, mais je reviens sur mes pas découragée, puisqu’il y a un véritable bouchon de circulation dans ce coin-là. Je vais donc prendre une pause à l’étage au-dessous. Devant le miroir je me parle, je prends plusieurs bonnes respirations pour calmer l’angoisse. Je me lave le visage, mais je ne peux pas me cacher indéfiniment.

Qui est qui… ? aucune idée !

Tout à coup, une jeune fille de douze ans vient me trouver avec son appareil photo qu’elle a reçu un cadeau, je suis sauvée ! Là je sais quoi faire, c’est comme si je venais d’entrer sous un dôme. Je me lance dans d’interminables explications pour l’aider à bien l’utiliser. L’iso, la profondeur de champ, les instructions relatives à la prévention pour ne pas l’abimer, tout y passe. J’aime trop lorsqu’on me lance sur un sujet comme ça, je n’ai plus de soucis à savoir quoi dire et comment le dire. De plus, avec les enfants je suis bien plus confortable. Le seul désavantage c’est que je cesse alors de me surveiller ce qui m’amène à dire des niaiseries à travers le reste. Comme là, je lui demande si sa sœur est présente. Elle me regarde étonnée en me mentionnant que la personne assise sur le même fauteuil qu’elle, c’est justement sa sœur. Elles sont carrément assises l’une sur l’autre.

Oups, j’ai tellement un problème avec la reconnaissance des visages. Ça ne fait pas mal plus d’une décennie que je les connais. Mais quelques fois par année, ce n’est pas assez pour me permettre de savoir à qui je parle. La plupart du temps, c’est avec la voix ou une particularité physique que je reconnais les gens. La petite est donc morte de rire et j’ai encore une fois eu l’air un peu spéciale. C’est embêtant pour moi de ne pas bien savoir qui est qui rapidement. Pour les gens qui ont un visage neutre, sans défaut ou particularité évidente, c’est vraiment un défi pour moi de les identifier. Un jour, j’ai assisté à la compétition sportive de mon ainé. Comme vous pouvez vous en douter, c’était horrible avec cette nuée d’humains autour, mais qu’est-ce qu’on ne ferait pas par amour pour nos petits. Donc un peu en panique je tentais de me trouver une bouée de sauvetage lorsque je vis passer un autre de mes enfants.

Voilà la solution, je vais focaliser sur ma progéniture enlacée avec moi, ça me calmera. J’attrape donc cet espoir que je prends immédiatement dans mes bras. Ça aurait pu être une excellente idée, le seul problème c’est que cet enfant n’était pas le mien. Le style vestimentaire et le corps étaient très semblables et sans nul doute que si j’avais regardé le visage comme il faut j’aurais immédiatement vu la différence, mais je ne l’ai pas fait. Dans mon empressement de me sentir mieux, je me suis trompée. Je fus vraiment mal à l’aise face à sa mère…ouf.

Quand chaque déplacement est un défi.

Tout le monde mange et je commence à avoir un peu faim quand même. À deux reprises je prends mon courage à deux mains pour traverser jusqu’à la cuisine, mais je retourne piteuse en sécurité à mon emplacement initial. Je fais signe à ma fille et je lui demande d’aller me chercher le repas parce que je n’y arrive pas. Par contre, mon amoureux m’a vue de loin et donc, il arrive une assiette à la main. Trop gentil. Comme la plupart des gens ont terminé il se libère justement deux places à table et j’approche, mais encore une fois je bloque, je n’ose juste pas. Je suis donc debout, hésitante coincée en attendant une permission. Par chance on m’invite à m’assoir.

Mon conjoint remplit ma coupe de vin et tranquillement, le nombre d’informations qui me parviennent s’atténue. Je suis moins rigide et moins en panique. J’entre donc en grande conversation avec un couple que j’aime beaucoup. Au final, je suis restée assise à cette place et on a discuté durant des heures ce que je n’avais jamais fait. Ce n’était pas la superficielle conversation de base, c’était pour vrai. Ils m’ont mentionné qu’habituellement je suis rigide et froide, difficile d’approche et que je semble constamment être sur une autre planète et ils sont donc contents, après tant d’années que je me décide enfin à avoir un réel échange.

De plus je me donne la permission d’expliquer mon ressenti ce qui m’enlève un gros poids des épaules. Je décris donc le stress que converser me cause et à quel point j’ai toujours peur de sortir une imbécilité. J’ai eu droit à un bon paquet de questions pertinentes auxquelles je réponds avec toute l’honnêteté et le manque de filtre qui me définit. Donc, maintenant, je crois qu’avec ce couple je vais être à même d’avoir une conversation digne de ce nom. Je fais bien sûr quelques erreurs. Par deux fois je réalise que je me suis mis les pieds dans les plats, sauf qu’au lieu de me taire immédiatement lorsque je m’en rends compte (comme je faisais avant), je le mentionne.

En réalisant qu’un choix de sujet a peiné mon interlocutrice, je lui énonce que je viens d’en prendre conscience et que donc je m’excuse. Son conjoint me dit que non, elle n’a pas eu de chagrin. Je décris alors avec exactitude les petits mouvements de son corps qui l’ont trahie ainsi que le changement immédiat au niveau de sa respiration. J’avais effectivement raison et ça m’a permis de désamorcer. C’est merveilleux. Il faut juste que je sois spontanée. Si j’utilise l’adage qui dit de tourner sa langue sept fois avant de parler, je vais faire comme avant et je ne dirai rien en présence des gens avec qui je crains des conséquences si je me trompe.

Mutisme sélectif ou moulin à paroles.

C’est le mutisme sélectif. C’est un trait Asperger. Certains vous diront que je suis un moulin à parole et d’autres qu’ils ne m’ont jamais vu dire un mot. C’est comme ça, il faut que je sois en sécurité, que je sente que j’ai le droit de parole ainsi que le droit à l’erreur. C’est certain que ça surprend si durant des années je ne dis rien et que tout à coup je parle sans m’arrêter. Ma belle-sœur dit souvent que je suis un livre ouvert et que je n’ai aucun filtre, c’est qu’avec eux, je me le permets. Je vais essayer de faire ça de plus en plus souvent. Maintenant que je connais les raisons de ma différence, je vais moins me brider. Je n’ai pas le choix, parce que c’est épuisant de toujours se taper sur la tête et de s’inquiéter. Ma résolution pour la nouvelle année, cesser de moi même me mettre des bâtons dans les roues et laisser le naturel agir.

BONJOUR!

Je suis Valérie Jessica Laporte. Bienvenue dans mon univers autistique.

Femme blanche autiste souriante avec lunettes bleues et tresses bleues

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