Savoir entrer et apprendre à sortir quand il y a trop de monde au mètre2 pour une autiste stressée.

Je suis trempe à la lavette1, complètement brûlée, exténuée. Je n’arrête pas de tousser parce que comme j’ai tout donné, j’ai le corps qui parle à la tête pour dire, ouf, tu as travaillé pas mal trop fort ce soir.

Je n’ai pas fait comme je voulais, je n’ai pas fait comme je prévoyais, et tout ce que j’avais préparé n’a absolument pas fonctionné. L’inscription au club photo était au studio et non pas à notre local habituel et le studio + plein d’humains = cacophonie. Afin de me donner une chance, même si c’est à 0,7 km de chez moi, mon amie est venue me chercher. Je stresse, je stresse, vraiment, j’ai peur d’avoir perdu tous mes acquis durant la pause estivale.

Dès le moment où j’ai mis le pied dans le local exigu, j’ai figé là. Paf. Dans l’entrée, comme un orignal éclairé par les phares. C’est un peu l’impression d’aveuglement que j’ai eue. Éblouie et abasourdie, lorsque l’écho et le brouhaha des sons omniprésent se sont ajoutés à l’équation, je venais de signer l’arrêt immédiat de ma disponibilité.

Je suis une aveugle sociale.

Prudente avancée

J’ai fini par trouver le courage de m’avancer dans l’éclaircie qui se formait devant moi pour procéder à mon inscription (comprendre que les trois personnes entre moi et la table d’inscription ont légèrement décalé vers la gauche). J’avais tout prévu, mon argent bien plié dans ma poche gauche, j’avais la main dessus, ma carte de membre (no. 91, ce n’est pas trop laid, ni visuellement, ni mathématiquement, bon habituellement, moi, les nombres qui n’ont pas une belle équation franche dedans me tombent sur les nerfs, mais celui-ci s’endure, son total de 10 m’enchante, je sais que le neuf est toujours sur le point de tomber s’il se laisse glisser sur le dos, mais le 1 l’attrape gentiment et ça me fait plaisir) dans la main droite pour valider le tout, je m’attendais à un échange du genre inscription/paiement.

Non, non, non, bien voyons, ton schéma de conversation était basé là-dessus ? Tu avais déjà en tête ton ”merci” et tout ? Arrange-toi avec tes troubles madame parce que le monsieur devant toi, il dit que non seulement tu es déjà inscrite, mais tu as déjà payé.

Plan B pour quand Plan A fait des niaiseries

Double-oups. Imprévu. Puis là ça pédale dans ma tête… mais si il se trompait ? Je ne veux pas être malhonnête ? Je ne me souviens pas avoir payé ? Ahhh, zut. Je n’avais aucune réponse de prête pour cette situation alors je ne répondis rien et je haussai les épaules en guise de je ne sais pas. Puis c’est tout. Vous savez ce silence qui bourdonne, pendant un instant, les sons ambiants se sont embrouillés et je n’entendais plus qu’un bzzzzzzz. Jusqu’à ce que le gentil monsieur de l’an passé, qui était complètement sur la gauche donc plus isolé face au reste du groupe entame la conversation, je l’aime bien lui. Vraiment.

L’an passé les gens qui m’ont parlé m’ont demandé si j’avais fait beaucoup de photos durant l’été. C’était la question par laquelle débutaient presque toutes les conversations. Pas folle la fille, je m’en souvenais et j’avais préparé toute une belle réponse, j’avais LA liste de prête, bien structuré dans ma tête, et j’étais certaine de pouvoir défiler ce monologue à quelques reprises à toute vitesse ce soir. Vous savez quoi ? Non, on ne m’a pas posé cette question. Donc le gentil monsieur me demanda plutôt si ça allait bien. Pas une question les sourcils froncés dans le sens de l’inquiétude non, une question qu’il posa avec enthousiasme. Je répondis donc un beau ouiiiii ! parce que je suis vraiment contente de comment va ma vie en général, de comment mes photographies se sont améliorées (parce qu’il doit probablement faire allusion à ça aussi) et surtout je suis contente des énormes progrès que j’ai faits durant les derniers mois. Mais après, je n’ai plus rien à dire puisque la question que j’attendais ne vient pas. Donc ça a figé, ça a figé et il demanda : Puis, t’es tu ennuyé de moi ?

Bang ! Explosion au cerveau. Recherche intensive d’une réponse adéquate

Question 1. Quelle est la vérité ?

  • Réponse du cerveau. Je n’en ai aucune idée je n’ai pas eu le temps d’analyser cette donnée.

Question 2. Qu’est-ce que je suis censé répondre, existe-t-il une formule toute faite, une répartie prévue applicable dans tous les cas ?

  • Réponse du cerveau : Il ne me semble pas ? Demande au cœur, il est peut-être au courant !

Question 3. Tu en penses quoi toi le cœur ?

  • Réponse du cœur : Il me provoque une émotion positive, j’ai confiance en lui et j’ai envie de le voir quand il est là, mais je n’ai jamais réfléchi à sa présence s’il n’est pas là ! Arrange-toi avec le corps.
  • Réponse du corps : J’ai mal au ventre là, arrêtez de tergiverser là-dedans et répondez la vérité, il n’y a que ça de bon dans la vie.

Résultat.

  • Réponse de la bouche, avec le son qui sort : Je ne sais pas, je n’ai pas eu le temps d’analyser la question.
  • Réponse de mes oreilles qui viennent de m’entendre dire ça : Ah ! T’es trop nouille. C’est pas ça qu’il fallait dire !
  • Réponse de l’amoureux une fois que je lui ai raconté : Tu n’étais pas obligée de répondre à la question voyons ! Tu aurais dû dire que tu étais contente de le voir.

Mais ce n’était pas ça la question !!! Si il m’avait demandé si j’étais contente de le voir, j’aurais pu répondre un superbe oui sincère et tout le monde aurait été content.

Shutdown temporaire et nécessaire.

J’ai donc commencé à chercher mon amie des yeux, mais sans la trouver, et immédiatement, effet sauna, j’ai commencé à avoir trèèèès chaud, mais pas un peu là, très beaucoup intensément chaud. Quand je l’ai enfin eu dénichée, je me suis planté à côté et j’ai pris une pause bien méritée en faisant semblant de faire partie du cercle de conversation dans lequel elle était engagée. Puis j’en ai profité pour prendre une pause bien méritée en dehors de mon corps. J’ai laissé le groupuscule discuter de je ne sais quoi et je me suis évadée dans l’intersection du motif d’un sac coloré. Je m’y suis plongée. Essentiel et bénéfique.

Note

Le shutdown est un super outil pour les autistes. Certains l’appellent la politesse autistique. C’est une défense contre les agressions sensorielles et c’est une coupure momentanée du contact. L’arrêter de force c’est comme… te faire réveiller par une horrible alarme quand tu viens juste de t’endormir, mais en bien pire !!! De l’extérieur, la personne semble absente, pensive ou fixée sur un point. On m’oblige souvent à en sortir et j’en souffre énormément. Je me contrains à un faible sourire quand on me “réveille”, mais ça fait mal. Dès l’instant ou l’interrupteur relâche sa surveillance sur moi j’y retourne, essoufflée, assoiffée, en besoin de prendre ce moment pour moi. Je m’exprime ici en mon nom personnel, car je sais que pour plusieurs autistes, la sortie forcée du shutdown peut mener directement au meltdown. Pour moi, c’est moins fréquent. Je crois qu’avec l’âge je vois plus venir et si ça arrive je peux, la plupart du temps, me sauver avant, mais ce n’est pas possible pour tous, chaque situation est unique et certains contextes sont impossibles à fuir. Puis le meltdown on ne veut pas ça, on en ressort anéanti, épuisé et encore là je parle pour moi si je dis honteuse. C’est une crise incohérente. Chez moi c’est le mode tortue, je me ferme en une petite boule solide la plupart du temps, mais avec des difficultés à respirer et une totale perte de la communication. Je ne suis plus là, plus de son, plus d’images, une petite chose détruite au sol, bref, je préfère grandement le shutdown, la pause, l’outil.

Aidée par une ultra-énergique

Donc  j’ai pris plusieurs petites doses de cet outil à quelque reprises, mais ce n’était pas assez, je devins donc de plus en plus fatiguée. C’est pourquoi lorsqu’une adorable hyperactive commença à me jaser à vive allure, j’étais bien heureuse de ne plus avoir à répondre à quoi que ce soit de trop demandant. Elle passait d’un sujet à l’autre à une vitesse vertigineuse et de temps en temps ça me sonnait une cloche et je pouvais dire moi aussi ! Avant que j’aie eu le temps de dire ouf elle me parla de ses enfants, de cours de natation, de photographie bien entendu, de sa piscine, de comportements, de comment ses amis lui jouent des tours, de ses horaires de la fin de semaine, de son conflit d’horaire de la semaine, de peau versus soleil, de cours de soccer, de cours d’escrime, de la pause bien méritée du dimanche et de l’horaire de travail de son conjoint. Elle est passée par le grille-pain, les repas, le jeu de Katag, une histoire relative à un changement de couche, son emploi, un jeu de mots entre collègues, un nouvel édifice en construction, le fait qu’elle ne survivrait pas à un Zombie apocalypse sans ses lunettes et j’en passe.

Bref, je n’ai plus eu besoin de stresser à trouver quoi dire, elle, elle savait. Le sujet que moi j’ai tenté d’amener est tombé à plat et malgré moi, j’ai réussi à lui faire deux reproches… ensuite je m’en voulais. Une chance, au niveau du verbal, elle alimentait allégrement la discussion. Alors j’ai essayé de bien me fermer de tout le reste, de ne me concentrer que sur elle en faisant abstraction de ce qui se passait autour, pour me donner une chance, pour avoir l’impression un peu d’être seule avec elle et la salle s’est vidée, mais alors là, complètement, il ne restait que les membres du conseil d’administration qui voulaient faire une réunion et j’ai compris que je devais partir.

Saviez-vous qu’on ne peut pas se sauver sur le bout des pieds ?

Mais s’il y a un truc que je ne sais pas faire moi dans la vie, c’est d’entrer et de sortir. Je n’y arrive pas, c’est aussi simple que ça. Mon amoureux, s’il est avec moi, s’en occupe à ma place, il fait le tour des humains et moi je le suis comme un petit chien de poche. J’imite son rythme, je copie ses pas. Habituellement, pour quitter le club photo c’est avec mon amie, mais cette fois, elle ne peut pas, alors je dois m’organiser. Vous dire le stress que ça me cause vous ne pouvez pas vous imaginer, c’est complètement anxiogène. C’est juste trop, je ne possède pas cette information. Tout devient une donnée à traiter. Comment je vais marcher, qui je vais regarder, ce que je vais dire, ce à quoi je vais toucher, qu’est-ce qu’on va me demander ? Sans mon armure, un humain numéro deux, une personne qui me sert de pilier à ce niveau je suis perdue. Ça me prend absolument quelqu’un à copier sinon je quitte en sauvage ou j’entre en impolie. C’est comme ça. C’est une torture.

Une fois lancée sur un sujet que je connais, je peux souvent interagir, ça fonctionne. Mon problème c’est de débuter ou de conclure, c’est un malaise assuré. Mon amoureux m’a longtemps reproché d’être froide ou trop familière avec les inconnus, je ne trouve pas le juste milieu. Je sais dire des milliers de mercis et plus encore de excusez-moi, ou de je suis désolée. Mais la symbolique, l’étrange danse, la chorégraphie d’introduction et de fin c’est insoutenable. Je ne comprends juste pas.

Donc, à ma grande déception, les deux dames à qui je voulais tant parler, je n’ai pas réussi à me rendre jusqu’à elles. Premièrement elles étaient entourées de trop de personnes, deuxièmement, une des deux, je n’étais plus certaine que c’était elle, troisièmement, comme je voulais dire bonjour aux deux mais qu’elles étaient ensemble, je n’aurais pas su comment répartir mon arrivée entre chacune. C’est carrément une impasse ce truc. Ça me prendrait une bulle, un cocon, pour ne converser qu’avec un seul interlocuteur. C’est déjà difficile, avec tout ce que je dois gérer, les filtres, les attentes, la politesse, les non-dits, les sens cachés, l’émotion de l’autre… je ne m’en sors pas, alors plusieurs ! Cauchemar.

Conclusion

Ce soir mon chéri m’a dit mieux me comprendre maintenant et avoir pris l’habitude, avec le temps, de prendre totalement cet aspect en charge. C’est un réflexe chez lui. On se complète. Avant il me disait parfois que je n’étais pas gentille avec certaines personnes et je disais, mais c’est impossible, dans mon cœur et dans ma tête je suis certaine d’être une bonne personne. Je fais du bénévolat, j’aide les gens, je veux leur bien, mais pourquoi il me dit ça ?

Et voilà donc une raison du plus à ajouter au super palmarès de pourquoi ça vaut la peine de mieux se comprendre. Maintenant on sait tous les deux et mes amis savent aussi que je ne veux jamais mal faire, j’ai simplement certaines habiletés qui ont décidé de ne pas visiter mon cerveau. Comme si cette tête, elle ne savait que s’occuper de la tâche en cours, de l’efficacité, du droit au but sans introduire joliment et sans fermer gentiment. Pourtant, en texte je sais le faire, du moins, je crois.

1 Expression québécoise souvent utilisée pour détrempé. Mais ici, je suis trempée d’avoir eu chaud, je suis trempée de stress.

BONJOUR!

Je suis Valérie Jessica Laporte. Bienvenue dans mon univers autistique.

Femme blanche autiste souriante avec lunettes bleues et tresses bleues

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