J’aurais aimé qu’on sente comment je suis pour vrai

ressentir

Une les choses les plus frustrantes pour une autiste asperger c’est de ne pas arriver à faire traverser notre vrai soi de bord en bord de notre corps, par la bouche, par nos sons, par notre manière de bouger parce qu’entre les deux il y a cette course à obstacles qui démantibule tout. Ça démarre si joli dans la tête et à l’autre bout ressort un restant, une parcelle, un mince aperçu de qui on est. Puis aujourd’hui ça me fait de la peine. J’aurais vraiment aimé réussir, j’y tenais et j’avais tout mis en place pour que ça se déroule selon mes plans.

J’ai l’impression d’avoir lancé une licorne dans un tuyau et d’avoir tourné la manivelle. Des réactions chimiques se sont déclenchées, une peur verte et bouillonnante, un désorganisation embarrassante et gluante et la licorne est ressortie sous forme de grossier rhinocéros. J’aurais une envie folle de vous partager mes belles pensées magiques, mes licornes, mais elles n’atteignent pas leur destination.

Un an à me trotter dans le cerveau, l’idée a doucement fait son petit chemin et j’ai décidé que moi aussi je pourrais. J’allais participer à la soirée découverte de mon club photo (soirée durant laquelle les membres présentent leurs réalisations et partagent leur vision). C’est ma troisième année et tout se déroule à merveille, les gens sont gentils, j’arrive à tisser les liens, j’ai confiance. Un endroit calme avec des gens calmes, respectueux et créatifs, il me semble que ça pourrait fonctionner.

Se préparer, prévoir, s’organiser et faire des plans. Toujours.

Impossible d’être plus préparée que je l’étais. Un diaporama séquencé, organisé et hyper classifié par sujets précis m’accompagnait. J’avais agrémenté le tout de pictos de rappels, toujours au même emplacement en bas à droite des photos pour me rappeler quoi dire et quand le dire. J’en avais des pictos, des tonnes de pictos. En voici…

pictos

Non seulement j’ai pratiqué chaque jour et j’ai dormi avec ma feuille de notes pour me prévenir contre toutes les possibilités de panique, mais les gens sont tellement gentils que le responsable des réservations a loué pour moi le local de la ville un soir afin que j’aille pratiquer avec lui et mon amie dans le vrai environnement tel qu’il serait. Je n’arrive pas à comprendre ce qui peut pousser ces personnes à être si généreuses avec moi, ça me sidère.

À peine entrés ils se sont mis à bouger à toute vitesse pour tout préparer et j’avais sans cesse cette impression de ne pas savoir prévenir. Le temps que j’intègre le fait qu’ils s’apprêtaient à déplacer la table c’était fini, je me disais, je vais les guetter, je ferai mieux. Mais non, j’ai mis tant de secondes pour réagir au déplacement du gros coffre de matériel que c’était complété comme tâche. Dans ce temps-là je me mets toujours à me chanter des bêtises mais cette fois j’ai vraiment tenté de faire cesser les insultes à mon égard qui provenaient de ma propre tête pour me concentrer sur ce qui s’en venait.

motifs répétitifs

Malgré la température confortable je ne voulais pas retirer ma tuque, comme si son ligné régulier allait me prévenir contre l’angoisse. Petite carapace pour cervelle, reste encore un peu sur moi. Je l’ai flattée discrètement du bout des doigts pendant quelques minutes avant de ne plus avoir le loisir de la conserver sans ressentir bien trop la chaleur. Fraiche, douce, lisse, elle me fait du bien cette tuque.

J’ai pu soupeser le micro, lourd ! J’aime bien quand c’est lourd. Le poids me réconforte (comme les pressions profondes), j’ai donc fermement appuyé ma paume, compressé l’objet, je l’ai tourné dans tous les sens, gratté son grillage et un joli son mat et sec s’en est extrait. Noir, propre, dense, stable, j’étais rassurée, je pourrais utiliser celui là sans inconfort tactile. J’ai déplacé les chaises dans diverses positions avec une panoplie de Ça fonctionne pas ! Ça fonctionne pas !  jusqu’a ce que je détermine laquelle des configurations pourrait me cacher l’assistance et m’amener à me concentrer sur mon visuel.

C’est étrange, enfant je pouvais parler devant une foule mais c’est que j’avais cette impression que les autres humains n’existaient pas. Je me suis demandé longtemps si tout n’était pas une simple vision, un rêve, un état dans lequel on reçoit des informations sans les vivre. Lorsque j’ai pris conscience que l’environnement était totalement détaché de moi et qu’il avait sa propre autonomie, lorsque j’ai intégré que les gens avaient autant une vie, je n’ai plus été capable. C’était juste trop d’implication dans cet étrange univers parallèle duquel je me sens exclue.

Maintenant ou jamais

Armée de deux clés usb contenant chacune mon diaporama sous la dernière version de PowerPoint ainsi que la version précédente, ainsi que la version diaporama, ainsi que chaque diapositive en jpeg séparés, je me disais que ces huit possibilités que ça fonctionne mettraient les chances de mon côté pour que je cesse d’angoisser. Erreur. L’ordinateur a commencé à faire un petit bruit de morceau qui veut lâcher. Je m’imaginais déjà qu’il allait me fausser compagnie en plein milieu de ma présentation et une personne du club est allé chez elle pour en récupérer un autre. Le mode je stresse était débuté.

Pour illustrer rapidement le genre de réaction que ça donne au niveau de mon interprétation des situations, une personne mentionne qu’elle ne peut pas vendre les billets pour Noël tout de suite car celle qui les détient n’arrive pas. Mon cerveau entends billets. Je sors mon argent et je lui donne. Ensuite, je lis dans ma tête ce que je viens d’enregistrer la minute auparavant et je réalise ma bévue, donc je reprends l’argent. C’est toujours un peu comme ça que ça se passe, j’écoute à retardement. Je dois gérer trop d’autres données avant de traiter celle des mots. Au téléphone c’est moins difficile déjà. Ouf…

Je m’assois et tente de me préparer mentalement. À la vue de mon évident malaise (tremblements, envie de pleurer) une gentille dame eu la surprenante idée de me flatter le bras d’encouragement ce qui à la base est rempli de bonne intentions. Mais moi et le contact physique, je pense qu’on ne s’entendra jamais. Les éclairs de données à gérer lors du touché c’est juste trop et j’étais si paniquée que constatant la situation je n’ai rien trouvé de mieux à faire que de pousser sa main à l’aide d’une feuille de papier que j’ai glissé entre elle et moi en faisant de grands non de la tête à la suite de quoi j’ai entendu un C’est vrai… (elle venait de s’en rappeler, quelqu’un a dû lui dire).

Je m’étais promis que je ne m’en voudrais pas de mes futurs ratés. J’avais envisagé les possibilités telles que pleurer, bloquer, paralyser, m’enfuir et autres résultats me ressemblant. Mais une possibilité m’avait échappée, moi qui ai toujours tant d’énergie comment aurais-je pu savoir que le stress allait m’épuiser ? J’avais l’impression d’avoir le poids de deux hippopotame et quart et mon hamster intérieur se sentait complètement drogué au sang putréfié d’un zombie en fin de parcours.

Au début de ma présentation, j’étais juste… plus là. Quand mon amie m’a parlé de l’exposition qu’on a faite avec le club, comme ce n’était pas dans les questions prévues (comment aurait-elle su que mon cerveau se serait autant enfui), je ne savais même pas de quoi elle parlait ? Hein ? Quoi ? Quelle exposition ? Comme s’il y en avait tant eu, ha ha ! Ça commençait mal.

Ensuite durant les cinq premières descriptions d’images je crois avoir répété une vingtaine de fois le même mot (triper). Disque rayé et moi, même combat. J’ai fait des ééééénormes efforts ces dernières années pour parler plus mou en quelque sorte. J’ai retiré bien des mots de mon phrasé habituel. Trop pédants, trop rigides, trop froids selon les gens. Et qui sont mes modèles que j’ai imités sans trop m’en rendre compte dans ce désir de parler le plus normalement possible ? À qui je parle le plus ? À tous les jours, longtemps, tout le temps ? À mes ados. Voilà.

J’ai donc réalisé qu’à tant vouloir m’améliorer je m’exprime maintenant comme une adolescente de douze ans. Bravo. Puis avec le stress et l’accès à mon cognitif partiellement coupé par l’angoisse, ça a donné ce résultat immature qui me déplait assez. C’est que je me regarde et je n’ai pas l’impression que c’est vraiment moi à qui on a accès comme je me perçois à l’intérieur.

Par chance certaines images me stimulaient assez pour que je m’envole lors de quelques descriptions. Je me console avec ces petits bouts-là, ceux durant lesquels j’étais bien. Toute une partie de ma présentation consistait à expliquer comment la photo m’aidait dans la reconnaissance des expressions / émotions des gens et là ça a bien été. Vraiment. Parce qu’à chaque exemple ça me plongeait dans mon exercice hebdomadaire d’étude des visages tel que je l’effectue chez moi devant l’écran.

Une chance que je fais ça cette étude-là, ça me sert tellement pour savoir ce que ressentent les gens. Ce n’est pas inné pour les autistes, ce n’est pas comme pour vous. Rien de naturel, on ne sent pas de la même manière, il faut l’apprendre et l’étudier sinon on ne saura jamais.

J’ai tellement tremblé de la jambe tout au long de l’expérience que j’ai tout l’intérieur de la cuisse et le genou endolori comme si j’avais essayé un nouvel entrainement, mais juste d’un côté. Le muscle est fâché contre moi, je pense. Faire ça chaque semaine, je me retrouverais probablement avec une petite jambe et une grosse jambe (rire).

Se dévoiler… oser, avancer.

J’ai tenté, sans nommer spécifiquement l’autisme d’expliquer ma vision, ma manière de penser en images, d’apprendre en images. J’ai abordé le sujet parce qu’il fait partie de moi et influence ma manière de percevoir, de lire le monde et d’appréhender la photo. Je ne sais pas si on m’a comprise et je pourrai sans doutes en juger durant les prochaines semaines. Je me dis aussi que ça ne peut pas faire de tort, ça peut expliquer bien des choses et éviter des malentendus.

Lorsque j’ai eu terminé j’étais tant bouleversée et épuisée que je n’ai pas réagi correctement aux félicitations, j’étais trop mal. Je dis ça, mais même en me sentant bien ce n’est pas une chose qui m’est accessible. Je figeais devant chaque personne et mon amie m’a chuchoté un Dis merci ! mais il était trop tard. En fait je ne comprenais rien de ce qu’on me disait, c’était tout brouillé, dans une brume étanche et opaque de ouate pleine de sons mêlés. Je ne savais plus qui était qui.

J’ai à nouveau sorti mon argent pour payer les billets pour Noël, mais je suis resté avec dans mes mains, figée là et j’ai oublié de payer, encore.

J’aurais aimé faire mieux, je m’en voulais, sur le coup, j’étais assez fâchée contre moi, mais avec le recul c’est bien moins pire que je pensais. J’ai extrait les bouts qui m’ont fait rire et je les ai écoutés pour me consoler. Mon amie a eu la super idée que je me fasse filmer. Merci. Sinon j’aurais vraiment juste pensé aux mauvais bouts. Ça me fait réaliser une chose, je me juge toujours très mal et j’ai tendance à oublier le bon pour ne mettre l’accent que sur le désastre. Comme je peux difficilement être suivie par des paparazzis 24h/24 pour me souligner les gestes adéquats je vais devoir tenter de les déceler par moi même. Je demeure déçue de ne pas avoir réussi à être juste moi en oubliant le reste mais ça viendra doucement. J’ai encore le temps.

Leçon du jour. Respire, c’était moins dramatique que tu l’as cru et si on t’en reparle et que tu ne saisis rien parce que tu es trop paniquée, dis merci ! Ça ne peut pas nuire.

BONJOUR!

Je suis Valérie Jessica Laporte. Bienvenue dans mon univers autistique.

Femme blanche autiste souriante avec lunettes bleues et tresses bleues

DERNIERS ARTICLES