Chéri ! J’ai une vie sociale !

Avoir une vie sociale même si on est asperger

C’est ce que j’ai lancé à la blague à mon amoureux ce soir-là en revenant à la maison. Oui, oui, je venais d’être invitée à souper au restaurant par notre libraire, Maximilien, parce qu’en soirée, un humoriste asperger y faisait une prestation. Youpi.

Des mois de préparation mentale et de visualisation, depuis le 20 décembre plus exactement. J’ai ce besoin de bien imaginer à l’avance tout ce qui sort de l’ordinaire surtout, surtout, si ça implique du monde, du bruit et divers stimuli envahissants. Ne me sors pas de mon doux cocon qui le veut. Mais là, un humoriste aspie, je veux voir ça. Allez, extraction de mes habitudes en cours.

Les autres genres de soupers, soit les contacts forcés avec pas le droit d’être soi.

J’accepte (non sans maugréer) des repas officiels avec mon amoureux. Je dois faire semblant d’être normale durant quelques heures, mais ce sont les seules sorties durant lesquelles je joue le jeu (et ici, ce n’est pas jeu dans le sens amusant du terme). C’est souffrant et drainant d’incarner cette personne que je ne suis pas et de tolérer l’invasion physique imposée lors des échanges reliés au réseau d’affaires de mon amoureux. Je ne sais pas comment j’y arrive, mais je crois qu’il faut que je ne sois pas dans mon corps en quelque sorte, ce qui fait que je suis zombie tant que je ne suis pas en sécurité, assise, avec la période pleine de risques de me faire toucher terminée.

On dirait donc que j’associe maintenant restaurant avec souffrance. Mais ce soir, exceptionnellement, ce sera un souper resto avec la vraie moi.

Ça a commencé raide un peu

On a failli être en retard. Maniaque du temps et obsédée par l’heure, avoir du retard c’est inconcevable !

Le temps en autisme c'est hyper angoissant

Mais j’étais tellement dans ma tête, à penser à tous les détails de la soirée qu’au moment de partir, j’ai réalisé que j’avais oublié de prévoir un souper pour les enfants. Zut de zut. Honte à moi. Un spaghetti, ça demande un minimum de temps. J’aurais pu demander à ma fille de le faire (d’ailleurs j’ai tenté de concrétiser cette superbe idée), mais comme j’étais en mode je suis stressée et je panique, elle est aussi passée sur ce mode-là et donc, court circuit, elle n’était plus disponible cérébralement et émotionnellement. Lorsqu’une de nous devient non fonctionnelle, l’autre aussi. Pas pratique du tout, du tout d’avoir deux miss qui se désintègrent dans la même maison.

Nous sommes donc arrivés à destination à la dernière minute et l’amoureux m’a déposé à la porte. Point positif, je n’avais pas à salir mes belles bottes à pois dans la gadoue. Point négatif, dès la seconde où je me suis retrouvée seule dans l’entrée je ne savais plus rien. Je n’avais plus mes repères. Je fais quoi de mes mains, je me place comment, mes pieds, quelle position imitant le non-stress puis-je adopter, c’est long, c’est long, je peux faire semblant de regarder le mur ? Essayons. Je suis zéro crédible; le malaise me transparait par tous les pores de la peau. J’ai besoin de mon point de repère, un humain fiable sur lequel me moduler mais l’humain est parti stationner son carosse.

À son retour, après de loooooongues secondes d’attente, j’ai voulu laisser passer l’amoureux devant, mais il n’a pas voulu. En riant, il a dit que c’est moi qu’on avait invité et m’a forcé à me diriger à destination non sans en profiter pour me taquiner. C’est donc trempée que je suis parvenue à notre table. Lorsque Maximilien m’a présenté les autres invités, il a dit qu’il ne les connaissait pas. Hourra ! J’ai su qu’il blaguait, j’ai réussi à saisir le second degré, il était temps ! Donc je mentionne que je ne me suis pas fait avoir cette fois. Mais en fait, c’était vrai. Oups. Étrange. Il reste du travail à faire avant que je sache identifier l’humour. Gardons espoir.

Mais là, j’aurai le droit d’être moi.

Dans ma vraie vie, si je veux interagir, j’ai la permission de nommer que je préfère éviter les embrassades, colleux, câlins, bisous et autres attaques frissonnantes.

Ne pas toucher sans permission. Merci.

Juste ça, ce détail, ça me rend plus disponible aux autres, je n’ai pas cette peur permanente de devoir afficher un faux sourire caoutchouteux. Mon libraire m’a quand même demandé la permission des becs sur les joues, sauf que j’ai eu le droit de dire… naaaaaan. Une poignée de main, ok ? C’est tellement le fun d’avoir le droit de dire non !!!! Ça change ma vie. Merci, merci.

J’étais donc persuadée d’avoir été vraiment cool durant le souper parce que je ne me sentais pas en danger.

  • J’ai été cool chéri ce soir ? Trouves-tu ?
  • Hum, pourquoi ?
  • J’ai parlé aux gens !
  • Non.
  • Oui !
  • Tu n’as pratiquement pas dit un mot. 🙂

Grrr. Pourtant, je sais que j’en ai dit quelques-uns des mots, ils m’ont semblés gigantissimes ! Mais ça, c’est ma vision. Dans ma tête je répondais pourtant, j’avais des tas de choses à dire, mais lorsque j’étais prête, les sujets étaient à chaque fois terminés. Avant le spectacle, j’ai réussi à commencer une interaction avec une des personnes, alors, lorsqu’on a eu terminé le repas, mon conjoint m’a fait changer de place pour que je sois plus près d’elle. Seul hic, une fois juste à côté, ne me sentant plus protégée par la table entre nous deux, je n’arrivais plus à rien. Plus de son plus d’images. Zut de zut.

T’es pas drôle avec ton humour d’asperger !

On dit des autistes qu’on n’a pas le sens de l’humour. Je ne suis absolument pas d’accord. Je suis drôle (je crois), puisque j’aime faire des blagues et des jouer avec les mots. Le seul hic, je suis souvent la seule à les comprendre. Jessy, l’animateur de foule, a demandé au public d’écrire des blagues sur des petits papiers et de les déposer dans son bock à bière. Mon heure de gloire allait arriver et on allait enfin reconnaitre mon immense talent d’humoriste (je blague là). Tous les petits papiers ont été lus et ris.

On a chiffonné ma blague d'autiste pas drôle.

Et à la toute fin, mon papier ! Comme au ralenti, j’ai vu toute trace d’humour quitter le personnage qui a traité ma phrase en grimaçant. Il a, avec dédain, dit que ce n’était même pas drôle et il a chiffonné et lancé mon papier au sol. Sérieux ? C’est frappant à quel point ce qui moi me fait rigoler ne convient pas aux neurotypique. Ha ha…

Bon, ça parait peut-être insultant comme ça, mais dans ma tête à moi, ce genre de choses, c’est du bon matériel pour le blogue donc au lieu d’être frustrée, j’en profite pour encore une fois nommer à quel point on pense différemment des neurotypiques, et d’autant plus lorsqu’on veut rigoler.

Mais l’autre aspie, il est drôle !

Au tour de Louis T de monter sur scène. C’est fascinant de le regarder et de l’écouter en sachant qu’il est comme moi, autiste asperger. Ça fait du bien et c’est tout bizarre à l’intérieur d’analyser ses propos comiques.

Louis T qui imite les gens qui tentent d'imiter un autiste.

On lui dit parfois : Mais ça ne parait pas que tu es autiste. Là il est content car il peut demander ça ressemble à quoi un autiste ? Ensuite il se régale des mimiques des interlocuteurs… ben ça ressemble à ça ? Ha bon ?

Je l’ai vite pris en photo. Hi hi…

J’avais vraiment envie de lui parler ensuite et de prendre une photo souvenir, mais je n’ai pas trouvé le courage de le faire. Comme enchainée à ma chaise, impossible de m’en extraire, je maugréais contre mon manque de compétence à aborder les gens.

Des fois je ne fais pas les liens dans ma tête. Tout est fractionné, divisé, classé et les morceaux ne se parlent pas toujours.

Malgré le fait que c’est moi qui ai conçu l’affiche pour cette soirée, je n’avais pas réalisé que ma cliente en était l’organisatrice et que donc, c’est elle qui allait s’occuper des artistes invités et qu’elle serait à même de servir d’intermédiaire entre lui et moi.

La bataille faisait rage dans ce cerveau contrarié. Mais lève-toi et va lui dire bonjour !!!! Pas capable. Quand tout à coup, Nathalie, l’organisatrice de la soirée, ma cliente, se pointe à ma table avec lui. Ça m’a tellement fait plaisir. De tous les spectateurs, j’ai été la seule privilégiée. J’ai pu converser avec Louis T et c’est étrange parce que c’était presque naturel, comme si c’était un cousin sympa.

Travailler avec une asperger avec pas de filtre, tu aimes ou tu n’aimes pas.

Nathalie m’aime bien, je le sais, puisqu’elle me le dit. Depuis deux ans, c’est elle qui traite les dossiers de commandes de graphisme et elle remplace sa collègue qui est bien heureuse d’être débarrassée de la tâche de travailler avec moi. Oui, elle n’a pas particulièrement apprécié que je lui dise un jour que ça paraissait qu’elle était enceinte parce qu’elle avait mauvais caractère. Aucune idée de ce qui m’a passé par la tête pour dire une telle chose, mais ce n’est pas tout le monde qui peut gérer mon absence de filtre, puis en fait, je les comprends. Je dis vraiment des niaiseries. Désolée collègue de ma cliente. J’aime les gens, je ne veux pas faire de mal, mais à moins de me taire, c’est impossible que je ne fasse pas erreur sociale par-dessus erreur sociale.

Nathalie, ça la fait rire. La dernière fois que je lui ai parlé au téléphone, il y a eu un bon moment de silence durant lequel on s’envoyait des fichiers et je me sers toujours de ces blancs pour pratiquer des phrases à l’avance en lien avec ce qu’on pourrait me dire. Sauf que parfois, j’oublie que je suis en préparation et non pas en conversation. Donc, sans avertissement, après le long silence je lance : Ça c’est vraiment cool ! Elle demande quoi et comme je ne sais pas mentir j’ai du dire que j’étais en train de répondre à une conversation hypothétique que nous étions en train de tenir. Faut le faire. Oh la la…

Avant on me croyait parfois sous psychotrope, mais maintenant que je peux nommer, c’est plus simple. Non, non, je ne suis sous l’emprise d’aucun produit chimique, je suis juste étrange, juste aspie. Hi hi.

BONJOUR!

Je suis Valérie Jessica Laporte. Bienvenue dans mon univers autistique.

Femme blanche autiste souriante avec lunettes bleues et tresses bleues

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